Maison de retraite L'Emeraude à Granville
Le portrait du mois « Monsieur Bruno Faraoni » : témoignage écrit et recueillis par les élèves Hugo et Victor de la Maison Familiale et Rurale de Granville
Quand j’étais jeune, je n’étais pas très fort à l’école donc j’ai évité les études. Je devais faire aide-comptable, mais cela n’était pas fait pour moi. A partir de 1977 j’ai donc commencé à travailler avec mes parents, qui étaient fleuristes.
Je vivais à l’époque en région parisienne, à Bobigny, dans le 93. Pour leurs fleurs, mes parents se fournissaient au départ aux Halles de Paris, dans le 2ème arrondissement. Puis avec la création de Rungis, dans le sud de la région parisienne, on a dû s’adapter et on a déménagé pour se rapprocher du marché. Nous nous sommes donc installés à Montrouge, dans le département 92 (Hauts-de-Seine). Ensuite, j’ai habité à Verrières, dans l’Essonne et j’ai travaillé longtemps au marché de Verrières.
Nous ne cultivions pas les fleurs, mais on faisait de la vente, les marchés. Nous étions donc fleuristes mais seulement sur les marchés, nous n’avions pas de local commercial, pas de magasin. C’était très bien mais parfois dur, si les conditions climatiques étaient défavorables (pluie, froid, vent).
Même si nous n’avions pas de local, les marchés se gèrent comme un magasin. Il fallait par exemple faire attention à son étal, pour attirer l’œil des clients. Sur les étalages il fallait bien organiser les plantes, les mettre en avant en les arrangeant sur des malles ou des planches. J’aimais faire cette composition et disposais les fleurs en dégradé, en faisant des mélanges de fleurs, des suspensions, etc.
C’était très joli et cela attirait les clients. Sur les marchés, il faut faire très attention à notre relation avec notre clientèle, mais aussi à notre réputation. Il faut que les produits vendus soient de bonne qualité, que la marchandise soit bonne et que les clients ne soient pas déçus de ce qu’ils achètent. Sinon ils ne reviendront pas et iront chez les concurrents !
Il fallait aussi que nous fassions attention au cours financier des fleurs, pour s’aligner au bon prix par rapport à la concurrence. Si nous vendions plus cher que la clientèle, nous pouvions perdre nos clients qui iraient voir chez les voisins. Chaque fleur suivait son propre cours avec des plantes pas trop chères comme les fougères, mais aussi les cyclamens, les azalées, les roses, etc.
Nous étions donc en contact étroit avec les producteurs avec qui nous devions négocier les prix, selon les variétés de fleurs mais aussi selon leurs tailles. Les prix des producteurs étaient notre point de départ pour calculer notre prix de revente en intégrant notre marge. Nos fournisseurs étaient tous à Rungis. J’y allais avec père quand j’étais jeune puis quand il est mort en 1979 j’ai continué à y aller avec ma mère, qui travaillait toujours avec moi jusqu’à sa retraite en 1990.
Rungis, c’est un immense marché où les producteurs et fournisseurs vendent tout ce qui est produits d’alimentation, les produits frais, les fruits et légumes, les produits de la mer mais aussi les produits horticoles (fleurs coupées, plantes). Pour avoir accès aux bonnes marchandises, il faut être connu des producteurs et avoir de bonnes relations avec eux pour négocier efficacement les prix. Il faut aussi avoir de bonnes connaissances des produits que l’on recherche et que l’on souhaite revendre.
Par exemple, quand vous voyez des tulipes qui viennent de Hollande, elles paraissent belles dans le plastique, mais dès que vous les ouvrez, vous vous rendez compte qu’il n’y en a que 3 sur 10 qui tiennent debout et que les autres ne sont pas revendables. Finalement cela vous revient à payer la boîte de tulipes au prix fort. Ensuite il faut reconditionner le produit, avoir l’œil et savoir repérer les bonnes marchandises pour éviter les pertes. Pour cela, il faut bien connaître les producteurs.
Il faut être malin aussi sur les marchés, il faut savoir mettre en avant physiquement nos produits, faire de beaux bouquets mélangés mais aussi savoir les vendre. Il faut souvent crier pour attirer les chalands : c’est presque même parfois un combat à celui qui attirera le plus de gens vers son étal.
Comme nous n’avions pas de local de commerce, nous stockions les fleurs dans un grand frigo. Quand elles arrivaient de Rungis, on les recoupait, on les mettait dans des grandes bassines et on les conservait au froid. Tout cela, c’était beaucoup de travail. Et c’était important, car si les fleurs et les plantes n’étaient pas conservés dans de bonnes conditions, on se retrouvait avec beaucoup de pertes, et des fleurs à jeter. Du coup, on perdait de l’argent.
Sur les marchés, il y avait aussi tout le travail de composition de bouquets, savoir agencer les couleurs entres elles, assortir différentes sortes de fleurs. J’aimais beaucoup pendant les marchés faire de grandes compositions. Cela avait l’avantage d’embellir l’étal, mais aussi de donner l’idée aux gens de ce qu’ils pourraient faire avec nos fleurs.
Nous avions quelques clients fidèles que nous connaissions bien. Ils nous demandaient de leur préparer des bouquets, qu’ils récupéraient à la fin de leurs courses. C’est important de savoir fidéliser la clientèle, et pour cela il faut commencer par apprendre à les connaître, devancer leurs attentes et leurs goûts. Dans le commerce, il faut aussi s’intéresser aux gens, leur demander comment vont leurs enfants, etc. Les clients apprécient d’échanger avec nous, et certains restaient même un moment pour parler avec quelqu’un, surtout ceux qui sont un peu seuls. Mais il ne faut pas non plus se montrer trop curieux, et que cela nous prenne trop de temps ou empiète sur notre travail. Il faut trouver le juste équilibre.
J’ai fait ce métier jusqu’à la retraite de ma mère en 1990, puis travaillé en CAT (Centre d’Aide par le Travail) pendant 18 ans. Aujourd’hui j’ai conservé un côté artistique et mon goût pour les couleurs, les compositions à travers l’art. Je fais beaucoup de dessins, de collage et de coloriage, presque tous les jours et surtout quand je m’ennuie.